Qu’importe le coût,

pourvu que l’on joue !

 » Voilà quelque temps que je rêve de collaborer avec certains magazines de presse et mettre mes illustrations au service d’un article de fond. Même si je n’attends pas que cela tombe du ciel, je me suis dit que cela pourrait être plus parlant si je tentais d’illustrer un article. Et puisque j’aime bien écrire, je me suis ensuite dit que j’allais écrire cet article en plus de l’illustrer. Voici donc l’image qui accompagne le texte, à moins que ça ne soit l’inverse.

L’hiver prochain, au Qatar, se jouera la 22e coupe du monde de football, la première organisée dans un pays du Moyen Orient et la première également, que je ne regarderai pas.

Même si chaque jour qui passe me rapproche un peu plus du moment où l’affirmation suivante sera fausse, j’ai passé dans ma vie plus de temps avec une licence dans un club de football que sans. C’est donc peu dire que j’aime le foot.

 Je l’aime parce que c’est un sport qui fait comprendre que seul on ne gagnera jamais un match mais qu’ensemble, on peut atteindre un but commun.
Pour le brassage social qu’il génère : j’ai joué avec et contre des gamins qui venaient d’horizons complètement différents du mien mais qui portaient la même paire de chaussettes, le même short et le même maillot qui collent à la peau à jouer sur des terrains détrempés en plein mois de janvier.
J’ai partagé les même tours de terrains sous des températures négatives ou caniculaires, les mêmes émotions à la fin des matchs, que l’on ait gagné ou perdu. Connu la même attente interminable que l’eau des douches communes finisse par chauffer en grelottant après un match, savouré le même Bang orange que des milliers d’enfants sur les terrains de France le samedi après-midi, celui qui fait passer n’importe quel bouteille d’Oasis pour un délicieux nectar.
Je l’aime pour son incertitude, parce que parfois, ce ne sont pas les millions cumulés ou la somme des talents individuels qui forment une grande équipe ni ne garantissent la victoire.

Je l’aime pour la variété des émotions qu’il génère chez moi, de colères, de frustrations et de joies pures.
Je l’aime pour les commentaires à la sémantique douteuse des initiés derrière les mains courantes des stades municipaux , où les shoots de bonne-sœurs sont synonymes des tirs de bédouins et diamétralement opposées aux frappes de mules. J’aime le foot des corners à la rémoise, du marquage à la culotte et du coup du sombrero.
Je l’aime intensément, certes, mais pas aveuglément.

Je pensais donc passer sur les aberrations écologiques et économiques qu’impliquent la décision de jouer la plus prestigieuse compétition de football dans un pays où la température dépasse régulièrement les 40° Celsius durant l’été.

Ils ont imaginé des stades climatisés, couverts et démontables pour contrecarrer la chaleur et préserver les joueurs et le public durant la compétition puis que l’on enverra reconstruire en Afrique puisqu’ils seront inutiles et surdimensionnés pour accueillir le championnat local une fois la compétition terminée, allant à l’encontre des préconisations de la communauté scientifique pour ralentir un temps soit peu notre consommation effrénée de matières premières et d’énergies fossiles.
Puis, comme cela ne suffisait pas à appaiser les inquiétudes, ils ont décidé de décaler et de raccourcir la compétition pour l’insérer au mois de Décembre pour la première fois de l’Histoire, forçant les ligues nationales à chambouler le calendrier de leurs championnats. Cela ne laissera que quelques jours de préparations pour les joueurs et les staffs, au risque de sur-solliciter les organismes ? Qu’importe le coût, pourvu que l’on joue.

 

Même si les lignes ont bougé ces derniers mois, grâce aux pressions internationales reçues de la part de différents médias et ONG révélant notamment la confiscation des passeports des travailleurs étrangers par leurs employeurs (cette loi a été réformée l’année dernière), l’instauration d’un salaire minimum ou de plages de travail plus réduites en été, le respect des droits humains est visiblement une notion toute relative. Selon The Guardian, ce sont plus 6500 travailleurs qui sont décédés sur les chantiers de constructions des nouveaux stades. Qu’importe le coût, pourvu que l’on joue.
Sauf que je peux aujourd’hui mesurer mon amour pour le foot à l’aune de ces différents chiffres et je sais qu’il pèse bien moins que 6500 vies humaines. Et que de mon point de vue, un sport qui a des conséquences si
tragiques n’est plus un jeu.

 

Je souhaite donc informer le sélectionneur par la présente tribune que je mets ma carrière internationale entre parenthèses et ne participerai ni ne regarderai aucun des matchs qui se dérouleront durant la compétition, quand bien-même l’équipe de France se qualifierait-elle à nouveau pour la finale du tournoi.
Je précise également que ce retrait prendra fin dès la compétition terminée et que je vme rendrai à nouveau à la disposition du sélectionneur s’il estime avoir besoin de moi. Dans le cas contraire, je serai le fervent supporter que j’aimerai ne jamais cesser d’être derrière mon poste de télé et j’espère retrouver ce que le foot ne devrait jamais cesser d’être : un jeu. »

D. Guyon